vendredi 3 décembre 2010

Cène de managers : des hommes, des Dieux et des post-it ! 1/3

Décider, n’est-ce-pas l’essence même du rôle de manager ?

Vous pouvez toujours déléguer, organiser, contrôler, animer, responsabiliser, coacher… on voit bien que votre réelle légitimité en tant que manager réside aux yeux de votre équipe avant tout dans votre pouvoir de décider et dans votre capacité à le faire.

Le paradoxe ? C’est que les marges de manœuvre des managers deviennent toujours plus étroites, dans des environnements de plus en plus complexes, mais qu’on leur demande de plus en plus de s’affirmer comme celui ou celle qui décide.

Pour évoquer le processus de décision, comment l’aborder, l’optimiser… et si nous prenions le dilemme au cœur du film Des hommes et des Dieux ?

Notre Scène de Manager du jour ne va pas porter, bien évidemment, sur la réalité du drame de Tibhirine, où il n’y a pas du tout matière à rire, mais plutôt strictement sur le film : comment le réalisateur Xavier Beauvois aurait pu représenter à l’écran le processus de décision de ses personnages.

Notre cène de manager


Dans Des hommes et des Dieux, nous sommes en Algérie, années 90. Le GIA utilise la terreur contre les occidentaux présents sur le sol algérien, et multiplie les attentats.

Les moines de Tibhirine, intégrés de longue date dans leur monastère, jouent un rôle social essentiel auprès des villageois, et constituent de fait une cible de choix et un symbole encombrant. Le pouvoir algérien les incite à partir car il ne peut garantir leur sécurité dans ces temps troublés.

Le film retrace les derniers moments de ces moines, que l’on va suivre dans leur vie quotidienne, jusqu’à leur choix fondamental : partir d’Algérie ou rester au Monastère, au péril de leur vie.

Vous êtes donc scénariste et vous devez représenter le processus de décision de ces moines. Face à face dans notre SDM du jour, le choix fait par Xavier Beauvois pour son film et celui qu’il aurait pu faire, en s’appuyant sur une méthodologie relative à la prise de décision complexe.

Mange Prie Aime


Dans le film Des Hommes et des Dieux, le scénario propose une représentation par petites touches du processus de décision.

En montrant les moines dans leurs activités quotidiennes et leurs relations avec les villageois, Xavier Beauvois fait le choix d’un portrait en creux de leur vie et plus largement de leur engagement.

Sur le choix de rester au Monastère ou de partir, le responsable de la communauté, interprété par Lambert Wilson, prend d’abord sa décision seul, puis est contraint de prendre en compte l’avis des autres.

Ensuite suivront des scènes courtes, comme autant de coups de pinceaux discrets en formes de dilemmes intérieurs, de monologues avec Dieu dans la solitude de leur cellule, de discussions collectives ou intimes, de lettres aux familles exprimant leurs interrogations et leurs peurs, d’échanges avec les villageois, pour culminer dans un vote final à main levée de chacun des membres du Monastère.

Bref un langage cinématographique assez pur, sincère, qu’on imagine très respectueux de la réalité et du caractère dramatique de ces faits historiques à la fois horribles et encore frais dans les mémoires.

Hélas, pour finir, Beauvois s’égare légèrement, selon moi, de cette sobriété de bon aloi, dans une longue scène muette de dernier repas, avec forces ralentis et mouvements de caméra, sur fond musical de plage 7 du CD des Meilleures musiques classiques de la pub (le Lac des cygnes – on a évité de peu le Chœur des esclaves (plage 3) de Vania Pocket).

Pardonne Beauvois, Seigneur, il ne savait pas ce qu’il faisait, en tournant cette scène !

Pour illustrer de façon moins réaliste certes, mais totalement rationaliste, le processus qui a conduit les personnages du film à prendre leur décision, Xavier Beauvois aurait pu faire un tout autre choix, en s’appuyant sur les principales approches méthodologiques de la prise de décision.

La suite ici !

Cène de managers : des hommes, des Dieux et des post-it ! 2/3

Monk business


En refusant la fidélité à la réalité historique, le réalisateur de Des hommes et des Dieux aurait en effet pu imaginer une piste scénaristique différente : qu’un consultant soit envoyé sur le terrain pour aider les moines à prendre leur décision.

Une double utilité : d’une part, celui-ci serait chargé d’appliquer une méthodologie rigoureuse pour accompagner les personnages à faire leur choix, et d’autre part, cela fait appel un procédé cinématographique certes éculé mais toujours efficace, coco !

En effet, pourquoi ne pas utiliser ce bon vieux « fish out of water », ce personnage qui vient de l’extérieur et qui découvre en même temps que les spectateurs un environnement nouveau ?
Meilleur exemple du procédé : Witness, avec Harrison Ford en flic qui enquête chez la communauté amish – et non, il n’y a pas de « fish out of water » dans Et au milieu coule une rivière, sots !

En début de film, nous aurions donc notre Senior Consultant qui débarque au Monastère, avec sa panoplie complète : laptop HP, mallette Metaplan pleine de brown paper et de post-its de couleur, vidéoprojecteur et paper boards.

Pour le gag (car il faut le reconnaître, le film tel qu’il est manque un peu de ces bons gags visuels qui font tout le sel d’autres célèbres films religieux tels que Mon curé chez les nudistes, par exemple), il salit un peu ses Weston et a froissé son Smalto dans son Audi de location, mais il est fin prêt avec ses 250 slides powerpoint copiés-collés de sa dernière mission pour les Fromageries Bel – un contexte légèrement différent, certes, mais un bon slide est un bon slide, non mais !

Sa première difficulté : la planification des workshops avec les membres de la communauté : pas évident de s’insérer entre matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres et complies, mais bon on s’adapte !

Buisson ardent ou arbre de décision ?


Tout d’abord, quelle approche doit prendre notre consultant ?

Plusieurs sont possibles :

- L’approche rationnelle, qui privilégie la description des situations à partir de données mathématiques, qui permettent de définir différents scénarios fondés sur des probabilités. On peut ainsi créer des « arbres de décision ». Problème : dans notre cas, le dilemme des personnages est assez peu quantifiable…

- L’approche psychologique porte, elle, sur le système de valeur individuel de celui qui conduit le raisonnement. Dans notre cas, il s’agit d’un groupe, où chaque individualité s’exprime bien sûr, mais qui existe bien sûr intensément en tant que collectif.

- D’où l’intérêt de l’approche psychosociologique, qui prend en compte les phénomènes de groupe : par exemple éviter les conflits entre membres, ou au contraire se positionner en fonction de la majorité ! La pensée groupale est ainsi d’une autre nature que celle de chacun des individus qui constituent le groupe : assez pertinent ici.

- Pour compléter, l’approche organisationnelle est particulièrement intéressante pour un univers aussi codifié que celui des moines, avec ces « règles » ancestrales qui constituent le ciment de leur engagement spirituel.

On voit bien dans le dilemme décrit par le film que cette dimension est essentielle : comment rester fidèle à son engagement dans la foi, à son rôle vis-à-vis des villageois, si on s’en va ?

La fin ici !

Cène de managers : des hommes, des Dieux et des post-it ! 3/3

Matrices de décision ou pater noster ?


Pour associer ces différentes approches, le consultant a besoin d’un certain nombre d’informations qu’il s’agit de réunir dans un premier temps.

Enquête quantitatives et entretiens qualitatifs : il ne faut rien négliger pour aborder tous les aspects de la problématique « Rester ou Partir » ! Entretiens individuels avec les responsables locaux de l’armée algérienne, et pourquoi pas avec aussi le GIA pour une séance de créativité (mais bon attention quand même, ce sont des gars qui n’hésitent pas à couper les cheveux en quatre).

Notre consultant pourrait aussi mettre en place un QCM auprès des villageois et recueillir l’avis de la hiérarchie, jusqu’à la DG monde basée à Rome, mais aura forcément un peu de mal à modéliser la foi.

Dans un second temps, il s’agit d’envisager toutes les actions possibles, en réunissant les moines autour de la table (heureusement pour le cinéaste et le consultant, ils n’ont pas fait vœu de silence, sinon le brainstorming aurait été + compliqué à organiser).

Quelques propositions qui pourraient en sortir :

- Pourquoi ne pas rester en demandant la protection de bodyguards, un par moine ?

- Equiper tous les moines avec des blackberry pour pouvoir communiquer du potager au cellier ?

- Ou bien mettre en place un bouclier en titane autour du Monastère ?

- Former les religieux au maniement de l’AK47 et demander à Jason Bourne un stage de self-defense avec tout ce qui vous tombe sous la main, multiplication des pains dans la tronche avec missel de poing, strangulation avec chapelet ?

On voit bien ici les limites du brainstorming, dont une des règles consiste à laisser la créativité s’exprimer, sans rien censurer…


Ne négligeons pas non plus les bonnes pratiques des participants : Michael Lonsdale, qui en vu d’autre comme méchant chez Spielberg (Munich) ou James Bond (Moonraker) peut apporter son expérience, tout comme Lambert Wilson (remember les catastrophiques Matrix 2 et 3) !

Et comme un bon consultant va toujours au-delà de sa mission, notre intervenant pourrait proposer à Londasle qui interprète le moine-médecin, un système de ticketing (avec helpdesk en Inde) pour gérer sa file d’attente de villageois !

Par ailleurs, le consultant va proposer d’optimiser la production du miel de l’atlas confectionné et vendu par les moines, en mettant en place une organisation lean - celle de Toyota, pas celle de Lawrence d’Arabie, sots !

Dernières étapes classiques du processus de décision : évaluer l’impact de chaque option puis choisir sa décision en fonction du niveau de risque acceptable.
Les matrices de décision servent notamment à çela, pour étudier chacune des options et en sortir les gains et risques.

Au final, une scène sans Tchaïkovski ni ralentis chichiteux montrerait le consultant émettre ses recommandations, et les membres de la communauté prendre leur décision, en toute connaissance de cause, en écrivant chacun sa position sur un post-it, - pour que chacun ait voix au chapitre - avant d’aller les positionner l’un après l’autre sur la feuille de paper-board.

Indéniablement, une des plus grandes scènes à base de post-it de l’histoire du cinéma.

Dieu seul me voit


Aujourd’hui, pas de suspense dans cette SDM : Beauvois a bel et bien fait le choix de la vraisemblance et de la fidélité à la réalité, et le cinéma est bien sûr vainqueur une fois de plus sur la théorie managériale !

« Décider, c’est faire un choix irréversible, plus ou moins risqué, entre plusieurs options possibles qui engagent l’action », a écrit Daniel Laborde.

Cette définition correspond bien au dilemme des personnages dans Des hommes et des Dieux, déchirés par un choix existentiel avec un risque maximum– dommage que le film ne soit pas vraiment à la hauteur de l’incroyable leçon donnée par les vrais moines dans la réalité.
Pour finir avec une note pimpante, notons que le teambuiliding est déjà pratiqué à haute dose dans le film tel qu’il est, avec les nombreuses scènes de chants, qui ponctuent le film, qui rappellent d’ailleurs un peu les pastilles musicales intercalées dans les Austin Powers – dans un autre style, j’en conviens - mais imaginez si on les intervertissait ? Les chants dépouillés dans Austin, et les chorégraphies sexy dans Des hommes et des Dieux ? …

Bibliographie : Des Hommes et des Dieux (Beauvois, France, 2010), Guide du management et du leadership (Retz, 2008), Austin Powers 1 & 2 (Roach, USA, 1997-1999-2002), Post-it est un marque déposée du groupe 3M, 34 parodies de la Cene de Leonard de Vinci

vendredi 5 novembre 2010

Peter - Panda : même principe ? 1/3

On ne parle pas assez des pandas, en général.

Et en particulier dans la littérature managériale, je ne sais pas si vous avez remarqué.

Vaches (à lait),
Requins (de la finance),
Canards (boiteux de l'industrie),
Dindons (de la farce),
Boucs (émissaires)...
… tout un bestiaire métaphorique qui prospère sur les verts coteaux de l'économie moderne !

Mais à propos des pandas ?
Rien dans la Harvard Business Review.
Dans Entreprise & Personnel ? No panda.
Chez Dale Carnegie ou Jack Welch ? Zéro panda – j'ai cherché.

Eh bien aujourd'hui, SDM relève le gant, car OUI, le panda incarne à lui-seul les paradoxes du paradigme managérial contemporain – en tout cas mieux que n'importe quel autre ursidé de ma connaissance.

Nous en apporterons la preuve dans une nouvelle Scène de Manager en forme de confrontation entre le Panda le plus célèbre du cinéma et l'un des plus saisissants concepts de la gestion des organisations !

Notre SDM du jour

Imaginez... nous sommes en Chine en des temps immémoriaux, et vous êtes le vieux sage local, en l'occurrence une tortue experte en arts martiaux un peu en bout de course.

Charge à vous de désigner celui qui deviendra le champion de votre cité, qui, in fine, devra affronter le terrifiant Tai Lung, Léopard des neiges qui risque de mettre le monde sous son félin joug.

Tous les habitants de la cité sont là réunis... comment allez-vous choisir votre « champion » ? Qui va bénéficier d'une promotion aussi exceptionnelle, sachant que c'est la survie du monde qui est en jeu ?

A ma gauche, en peignoir noir & blanc, Kung Fu Panda nous proposera la solution imaginée par ses créateurs des Studios Dreamworks... puis à ma droite, le pédagogue Laurence Peter, créateur du célèbre Principe de Peter, et ses continuateurs nous donneront la réponse issue de leurs travaux hautement scientifiques.

Que le meilleur gagne !

La suite ici !

jeudi 4 novembre 2010

Peter - Panda : même principe ? 2/3

Le hasard et la nécessité (du panda)

Dans le film d'animation Kung Fu Panda, le monde est menacé, et le vieux sage doit désigner qui va être choisi pour être l'Élu.
Bien évidemment, tout le monde s'attend à ce qu'il choisisse une de ces stars du kung fu, les légendaires 5 cyclones : Tigress, Viper, Mantis, Crane ou Monkey !

Et pourtant, pourtant... par le plus grand des hasards, Po, panda maladroit, vendeur de nouilles de son état dans l'échoppe de son père et passionné de kung-fu, tente d'assister comme simple spectateur à la désignation du champion...

Or, il rencontre les pires difficultés pour pénétrer dans l'arène : les portes sont fermées, alors il essaie tous les moyens pour y pénétrer. Lorsqu'enfin il y parvient, il se retrouve projeté au beau milieu de la cérémonie, et là, le vieux maître, contre toute attente, va le choisir comme Champion !

Alors que c'est le plus grand des hasards qui fait que le panda se retrouve à cet endroit à cet instant, la vieille tortue, elle, dans sa sagesse immense (ou sa démence sénile) y voit un signe, et décide donc, à l'encontre de toute logique, d'élire cet inconnu pataud sans aucune compétence en kung-fu.

Méthode choisie par les Studios Dreamworks : le pur hasard ! Ah ! Hollywood a toujours rêvé de faire de Monsieur-tout-le-monde un héros, Néo dans Matrix ou Marty McFly dans Retour vers le futur. La différence ici, c'est que Po n'a objectivement AUCUNE compétence pour prétendre à ce poste, il est même le plus incompétent possible.

Loin, loin de la réalité nous sommes, amis, et nul doute que les habiles théoriciens du management inspirés par Laurence Peter vont nous proposer une solution plus réaliste !

Peter's friends

Le principe de Peter, paru en 1970, révéla en effet au grand public une théorie aussi remarquable qu'impertinente : dans une organisation, les individus sont promus aussi longtemps qu'ils sont compétents. Mais tôt ou tard, ils sont promus à une position à laquelle ils ne sont plus compétents (leur « niveau d'incompétence »), et où ils vont rester.

Par conséquent, avec le temps, tout poste tend à être occupé par quelqu'un d'incapable d'en assumer la responsabilité, le travail étant accompli par ceux qui n'ont pas encore atteinte leur niveau d'incompétence (Peter ne prend pas en compte l'usure sur un même poste, ce qui est absurde mais bon, continuons).

L'intéressant, c'est qu'en 2010 il y a encore du nouveau sur le Principe de Peter : des scientifiques italiens viennent d'être « récompensés » par l'Ig Nobel de Management, en 2010, pour leur relecture iconoclaste.

Ils ont tout simplement testé la validité du fameux principe en utilisant un algorithme qui simule l'impact des méthodes de promotions au sein d'un organigramme hiérarchique.

Pour cela, ils ont comparé les effets respectifs de deux hypothèses :
Soit le fameux principe de Peter est bien réel,
Soit il n'est qu'une pirouette humoristique, et ce serait plutôt le simple bon sens qui prévaudrait : quand on est promu, c'est qu'on est performant, voilà tout.

Mais alors quel est l'impact de ces deux hypothèses sur l'efficacité GLOBALE de l'organisation, qui au fond, est la seule qui devrait avoir un intérêt du point de vue de l'entreprise ?

La fin ici !

Peter - Panda : même principe ? 3/3

Mais alors quel est l'impact de ces deux hypothèses sur l'efficacité GLOBALE de l'organisation, qui au fond, est la seule qui devrait avoir un intérêt du point de vue de l'entreprise ?

Dans l'hypothèse 1 de Peter, à long terme, il vaut mieux promouvoir les nuls, ce qui permet aux bons de continuer à être performant à leur niveau.

Alors que dans l'hypothèse 2, il faut plutôt promouvoir les meilleurs, qui s'ils sont performants à leur poste précédent, ont de bonnes chances de l'être aussi au niveau supérieur.

MAIS, et c'est là que nos amis chercheurs italiens ont certainement décroché leur Nobel pour rire, le problème est qu'on ne sait pas a priori laquelle des deux hypothèses est la plus pertinente au sein d'une organisation donnée.

Car au-delà d'un bon sens basique qui dit qu'on promeut les meilleurs, qui n'a pas l'expérience d'un responsable hiérarchique totalement incompétent ? Dans ce cas, comment se prononcer de façon définitive sur l'une ou l'autre des hypothèses ?

Par conséquent, prendre le parti de promouvoir les bons ou bien les mauvais constitue un réel risque.> Promouvoir les bons si c'est Peter qui a raison ? A terme, c'est la fin de votre organisation, avec tout le monde à son seuil d'incompétence.
> Promouvoir les mauvais si Peter a tort ? Vous êtes fini, et votre entreprise aussi !

Ainsi, les chercheurs italiens préconisent de NE PAS CHOISIR, et recommandent de gérer les promotions complètement AU HASARD !

En effet, statistiquement, dans l'une comme l'autre des hypothèses, le modèle mathématique conclut que la stratégie « aléatoire » donne EN MOYENNE les meilleurs résultats.

Alternative proposée par les facétieux scientifiques : alterner la promotion des meilleurs et des plus nuls, ce qui donne des résultats équivalents.

Cette solution ne reviendrait-elle pas au final à celle choisie par les créateurs de notre ami poilu jamais à l'abri d'un coup de bambou, j'ai nommé Kung Fu Panda ?

Revenons à nos moutons.

Nous avons donc vu que le film Kung Fu Panda imagine avec humour que le plus grand guerrier a été choisi au hasard, la tortue-décideur ayant vu un signe dans l'irruption catastrophique du jeune panda dans la cérémonie d'investiture. Et cette décision se révélera pertinente, puisqu'à la fin, le panda massacre le Tigre des Neiges, je vous signale.

De leur côté, les continuateurs de Laurence Peter parviennent à la même conclusion, par la grâce d'une applet java et d'une solide logique nonsensique de bon aloi !

Puisque on ne sait pas si dans la réalité, c'est le Principe de Peter (où c'est l'incompétent qui est promu) ou le bon sens commun (promotion au plus compétent) qui fonctionne le mieux - et que notre expérience nous montre bien que l'un comme l'autre sont possibles - il faut choisir l'option la moins risquée, c'est-à-dire celle qui fonctionne dans les deux cas : le HASARD.

La promotion aléatoire se révèle, à notre effarement, mêlé d'un zeste de ravissement, la vraie solution pour réussir au mieux vos politiques de promotion en entreprise !

Une fois de plus, grâce à Scènes-de-Manager, le cinéma illustre à la perfection les théories managériales les plus audacieuses : OUI, promouvoir au hasard peut être une solution !

Et pour cela, remercions ce petit animal qu'on n'oubliera désormais plus, ni chez Dunod ni dans les pages (saumon) du Figaro : le Panda.

Bibliographie :
The Peter Principle Revisited: A Computational Study, Kung Fu Panda (Marc Osborne, 2008, USA), Le Principe de Peter

lundi 11 octobre 2010

Les héros sont fatigants ! 1/3

Sympa, ce Clark Kent - mais il ne vous agace pas, vous ?

Son côté grand échalas timide et empoté, boy-scout toujours prêt à rendre service ? Idem pour Peter Parker, bon p’tit gars mais qui se fait toujours marcher sur les pieds ?

Trop gentils, trop gentils, ces super-héros dans leur identité secrète… Pourtant, Superman et Spiderman, à la ville, ne pensent qu’aux autres, sans rien demander en échange. Résultat ? Eh bien professionnellement, leur carrière ne décolle pas, et sentimentalement, aussi bien avec Loïs Lane qu’avec Mary-Jane, ça ne vole pas haut !

Etrange ! Serviables, désintéressés, ils devraient crouler sous les amis, non ? Mais c'est du cinéma, me direz-vous... dans la réalité, dans le monde de l’entreprise, en particulier, et-ce vraiment différent ? Les « gentils » y sont-ils vraiment plus appréciés par leurs collègues ? Joli thème de SDM, tiens !

Notre Scène De Manager.
Face à un individu qui apporte beaucoup aux autres, sans jamais rien demander pour lui, comment réagissent les membres du groupe auquel il appartient ?

Autrement dit, comment sont considérés les êtres désintéressés au sein de leur communauté ?

Une fois de plus, nous confronterons deux visions : celle du monde merveilleux du cinéma et celle de la froide épreuve de la réalité !

Bad boys
Pas facile d’être un gentil au cinéma, c’est sûr ! Regardez comment le serviable Darcy, alias Colin Firth dans son pull tricoté maison, se fait snober dans Bridget Jones par Renee Zellwegger, qui lui préfère longtemps ce play-boy immature et égoïste de Hugh Grant !
Je vous vois venir : voyons, les filles préfèrent les « bad boys » !

Et Joaquim Phoenix, dans le (surestimé) Two lovers, réalisé par (le par ailleurs admirable) James Gray, ne préfère-t-il pas une torturée et blonde Gwyneth Paltrow à la gentille et brune Vinessa Shaw ?
Les hommes préfèrent les blondes, sans doute ?

Ok, ok, alors sortons des relations amoureuses et élargissons le propos : quid d’une communauté toute entière qui désapprouve et va conduire un de ses membres jusqu'au pire, sous prétexte qu’il se voue totalement à un autre, en se sacrifiant au passage ?

Vous l'avez reconnu : c'est dans le pénible Breaking the waves que Lars von Trier imagine cette héroïne qui, dans un acte d’amour et de dévotion totale, va tout faire pour aider son mari devenu paralytique, y compris aller jusqu’à se prostituer pour lui !

A un degré moins hystérique, en tant que spectateurs, de films, ne réagissons-nous pas un peu comme ces villageois ? Par exemple, quels sont nos personnages préférés dans des films comme Pirates des Caraïbes ou La Guerre des étoiles ?

Dans les deux sagas, d’un côté, des héros désintéressés, prêts à se sacrifier pour un père/une princesse à macarons sur la tête/la Galaxie, etc. ; de l’autre côté, des renégats, lâches, vénaux, égoïstes !

Et à l’applaudimètre du public, ce sont bien Han Solo et Jack Sparrow qui atomisent Luke Skywalker et Will Turner ! Certes, le charisme des acteurs joue, et il est sûr qu’Orlando Bloom et Mark Hamill... face à Johnny Depp et Harrison Ford…et puis les rôles de buddy-partner rebelle sont un peu plus rock’n’roll que ceux du jeune premier de service, forcément falot.

Non, non, la vraie, l’ultime illustration du rapport entre un gentil et sa communauté est à trouver du côté de la saga Harry Potter. Car au fond, tout ce que désire le binoclard d’Hogwarts, c’est être aimé et sauver le monde, pas davantage. Et le monde, il le sauve régulièrement, grosso modo à chacun des sept épisodes, finalement.

Or, pour une bonne partie de ses camarades d'école, mais aussi pour le gouvernement des sorciers, les médias et l’opinion publique toute entière, Harry est loin d'être mon sorcier bien-aimé ! Il est au mieux considéré comme un charlatan avide de publicité, et au pire comme un dangereux ennemi du peuple ! Trop gentil, le bougre, personne ne veux comprendre qu’il fait tout cela pour les autres !

On voit donc bien que le cinéma ne fait pas la part belle aux êtres désintéressés et qui aident leur prochain – et je vous épargne Jésus dans la Dernière tentation du Christ, qui finira – attention !!! spoiler pour ceux qui n’ont pas le film – littéralement crucifié par ses concitoyens.

Mais de son côté, la réalité n’est pas forcément plus tendre que le cinéma avec les gentils, et la science a même récemment tenté de percer le mystère de la haine qu'ils suscitent parfois.

La suite ici !

Les héros sont fatigants ! 2/3

Why do we… crucify ourselves ?

Ce sentiment troublant de rejet du dévouement a en effet été étudié par des chercheurs du département de psychologie de l’Université de l’état de Washington.

L’expérience était la suivante : demander à des étudiants de participer à un groupe de 5 personnes, en ne voyant jamais les autres membres de l’équipe.

Chacun recevait une dotation qu’il pouvait, lorsque c’est son tour, choisir de garder ou de verser au pot commun, en partie ou en totalité. En fin d’année, une récompense symbolique était prévue : quelques noms tirés au hasard recevraient des bons de cantine, à la hauteur du niveau final de leur solde individuel.

En réalité, chaque « autre membre du groupe » était actionné par un programme informatique : trois avaient un comportement équilibré entre don et réception, et le quatrième se comportait différemment, en prenant ou en donnant systématiquement.

Après quelques tours, on demanda à chaque étudiant d’indiquer, au vu du comportement des différents membres du groupe, lequel d’entre eux il souhaitait conserver dans l’équipe.

Le résultat ? Il est surprenant : les participants dont le comportement est totalement désintéressé se retrouvent au final jugés aussi mal que ceux qui ne font que profiter du bien commun.

Pourquoi ? Trois raisons émergaient :

1- Certains estimaient qu’un participant aussi loyal doit être, d’une certaine façon, mauvais, donc il doit être sorti du groupe. Le boulet, quoi.

2- D’autres considéraient que les « gentils » ne respectent tout simplement pas les règles ! La norme prévoit qu’on agit en fonction de ce que qu’on reçoit, et que quand il n’y a pas de récompense, on ne fait pas. Ils reprochent donc ici un comportement déviant.

3- Enfin, pour certains, ce comportement altruiste doit tout simplement cacher quelque chose de pas net, une stratégie cachée.

D’un point de vue managérial, quelle conclusion en tirer ? Encourager ses collaborateurs à adopter une attitude de mercenaire, sous prétexte qu’au moins, elle est parfaitement lisible et prévisible ?

La fin ici !

Les héros sont fatigants ! 3/3

So what ?

Finalement, faut-il se comporter comme un rat, et cesser d’aider les autres ? Cinéma et réalité semblent indeed se rejoindre dans un même constat amer : le désintéressement ne rend pas populaire parmi ses congénères.

Vous allez me dire, fidèles des SDM : voyons, c'est peut-être le cas dans les universités américaines, voire dans certaines écoles de sorciers, mais dans les entreprises, il en est tout autrement!

Car tout le monde sait que c'est la performance collective qui fait le succès des organisations, par la coopération de ses acteurs, dans une vision managériale partagée. Partage des connaissances, transferts de savoir-faire, travail en équipe : autant de fondamentaux de toutes les entreprises modernes, m'enfin !

Oui-je-sais-Oui-je-sais-Oui-je-sais-Oui-mais-bon, alors que l’Entreprise promeut, dans son système de valeurs, les vertus du travail en équipe, force est de constater qu'elle va en réalité de plus en plus vers l’individualisation. Individualisation de l’évaluation de la performance, du système de rémunération associé, et plus largement du rapport salarié-employeur...

Les indicateurs de gestion étant devenus progressivement les seuls critères d'évaluation de la performance de l'entreprise, ils sont aussi désormais utilisés pour évaluer la performance des individus. Et ce management individuel par objectifs induit qu'on n'est plus sensés travailler pour un collectif, ou pour la beauté du geste, ni même pour produire un bien ou un service de qualité en soi, mais uniquement pour atteindre... l'objectif de performance fixé.

Bref, au-delà des bonnes intentions de principe, le modèle entrepreneurial évolue bien souvent de plus en plus vers une logique purement individualiste, et n'est donc pas favorable à l'épanouissement des salariés au comportement altruiste.

Par conséquent, pas facile non plus d'être un gentil en entreprise ! Mais attention, que cela ne vous empêche surtout pas de rester vous-même, et donner sans rien attendre, si vous le souhaitez, pour les autres, pour vous, pour le plaisir ! Donner pour donner, tout donner, c’est la seule façon d’aimer, disait ce duo de philosophes des années 70, remember, France Gall et Elton John.

Finalement aujourd’hui, ni vainqueur ni vaincu dans cette SDM, cinéma et réalité ne proposent pas de solution miracle pour que les gentils soient appréciés à leur juste valeur – sauf à considérer qu’on peut imiter nos amis Superman/Clark Kent et Spiderman/Peter Parker, pour devenir populaires enfin !

Mais bon, l’équipe de SDM ne saurait raisonnablement vous recommander d’enfiler un slip rouge par-dessus vos vêtements ou un pyjama rayé moulant, surtout avec la nécessité de sauver le monde tous les deux jours dans cette tenue !

Bibliographie : Your most helpful colleague (don’t you hate him ?) (Craig Parks).
Superman returns (Bryan Singer, USA, 2006), Spiderman I, II et III, (Sam Raimi, USA, 2002-2004-2007), Crucify (Tori Amos, 1992), Donner pour donner (Michel Berger/Bernie Taupin, 1980), Bridget Jones (Sharon Maguire, USA, 1980), Star Wars (George Lucas, USA, 1976), Pirate des Caraïbes (Gore Verbinski, USA, 2002) , Two lovers (James Gray, USA, 2009), Harry Potter (Chris Columbus, GB, 2001).

jeudi 16 septembre 2010

Retrouvez un vrai lien managérial avec votre assistante (1/3)

Non, non et non ! Buzz sur forums spécialisés, spams quotidiens, et même des allusions glissées par Morandini dans le si remarquable Direct Soir, stop, stop !

Une fois pour toute, non, « SDM » n'est pas un site SaDo-Masochiste ! SDM, c'est pour Scènes De Manager !

Enfin, quel rapport entre notre raison d'être - l'exploration de l'intimité entre management et cinéma - et des pratiques sexuelles à base de latex, de fouet et de fais-moi-mal-Johnny-Johnny-Johnny-envoie-moi-au-ciel ?

Certes... la domination dans le cadre de rapports hiérarchiques est un thème souvent traité au cinéma : Alain Corneau l'a abordé à la fois dans Stupeur et tremblements et dans son dernier film Crime d'amour, avec dans les deux cas les rapports assez limites entre un manager féminin et sa collaboratrice...

Mais même en dehors de ce type de harcèlement, le management peut aussi être à la limite de certaines pratiques, tout en restant dans des rapports librement consentis.

Car à la réflexion - cela vient de me frapper - il y a bien un film qui traite de Cinéma, de Management... et de Sado-masochisme.

La Secrétaire.

Réalisé par Steven Shainberg en 2003, le film décrit la relation trouble qui naît entre une jeune secrétaire (Maggie Gyllenhall) et son étrange avocat de patron (James Spader). Contrairement à ce que ce pitch évoque, le film est bien une comédie, certes décalée et vaguement subversive, mais aussi romantique !

La Secrétaire traite ainsi le volet managérial sous un angle assez inédit... et nous offre au passage l'occasion d'une nouvelle Scène de Manager, autour de la relation Assistante-Patron.

Parce que manager une secrétaire, c'est un peu comme être une femme libérée – tu sais c'est pas si facile.

La suite ici !

Retrouvez un vrai lien managérial avec votre assistante ? 2/3

Notre SDM du jour
Vous êtes avocat, et pour la nième fois, votre secrétaire vous fait signer un courrier bourré de fautes. Comment réagissez-vous, pour la recadrer et lui permettre de progresser, tout en préservant sa motivation ?

Vous allez me dire – je vous entends déjà - « Mais enfin, manager une assistante, c'est comme manager n'importe quel collaborateur ! Pourquoi faudrait-il la traiter différemment ? C'est sexiste, ou bien ? »

Ouhla, ouhla, amis SDManiaques, nous souhaitons simplement mettre le doigt sur ce qui fait parfois mal, c'est-à-dire le non-management d'une bonne partie des assistantes par leur responsable ! Pourquoi ?

Invisible touch
« Liant » dans les relations entre la direction et les collaborateurs... « tête de réseau » qui sait toujours qui contacter en interne... et repère essentiel de stabilité pour les salariés, dans des structures en perpétuel changement – les fameuses « réorgs », ce battage régulier des cartes hiérarchiques qui fait tout le sel des organigrammes matriciels - la fonction d'assistante revêt une importance-clé dans le bon fonctionnement des organisations.

Mais ces contributions souvent « invisibles », ne facilitent pas la reconnaissance de cette population généralement négligée.

Comme si le fait d'être aussi proche des managers les rendait peu visibles par ceux-ci ! Par conséquent, ce qui rend l'encadrement des assistantes si particulier, c'est le fait qu'elles ne sont souvent pas managées, tout simplement !

Malgré le binôme qu'elles forment avec leur responsable, ou peut-être à cause de cette proximité quotidienne,elles échappent souvent aux process de management de la performance, sont oubliées des people reviews, plans de succession... En général, c'est à l'occasion de leur départ en congé maternité, voire en retraite, qu'on réalise, par défaut, leur apport au quotidien.

Mais soyons justes, les assistantes elles-mêmes ne sont pas non plus toujours moteurs dans la gestion de leur carrière : pas évident par exemple de prendre le recul nécessaire à un entretien annuel d'évaluation et de développement, pour un responsable et une assistante qui sont en interaction quotidienne – or, comme le dit notre ami JJ Servan-Schreiber, « Travailler sans recul, c'est un progrès pour un canon, pas pour le cerveau. »

Vous me direz – décidément, on ne vous arrête plus, aujourd'hui - « Oui mais bon faut aussi admettre que les possibilités d'évolution des assistantes, si elles existent, ne sont pas légions : elles peuvent donc se retrouver dans les mêmes fonctions répétitives pendant de nombreuses années ! Alors un entretien tous les ans, et la revue de personnel, et des formations... pourquoi faire ? »

Comme vous y allez ! Avec cette vision immobiliste du métier, on se retrouve dans Working Girl avec une Mélanie Griffith obligée de se substituer à sa patronne en son absence pour pouvoir montrer de quoi elle est capable – et séduire au passage Harrison Ford !

Et pourtant, pourtant... la fonction d'assistante a aussi de spécifique qu'elle se transforme énormément depuis quelques années, les managers utilisant eux-mêmes la Sainte-Trinité moderne Blackberry / Excel / Powerpoint pour gérer eux-mêmes leurs mails, appels, présentations !
La plus-value des assistantes implique donc de nouvelles compétences, techniques et relationnelles, la capacité à gérer des petits projets, etc.

Fanny Ardant, secrétaire amoureuse de son Trintignant de patron, soupçonné de meurtre, ne va-t-elle pas se lancer seule dans une enquête policière, dans le réjouissant Vivement dimanche, de François Truffaut ?

Au final, on voit bien que dans le cinéma comme dans la réalité, les secrétaires ne doivent compter que sur elles-mêmes pour évoluer ! Alors si nous revenons à notre SDM, que proposent les bonnes pratiques ?

La fin ici !

Retrouvez un vrai lien managérial avec votre assistante ! 3/3

Une bonne correction
Du côté des fameuses best practices dont nous raffolons tellement, histoire de ne pas chercher de nouvelles idées... que trouvons-nous comme pratiques managériales adaptées à cette population particulière des assistantes qui ne le sont pas moins - particulières ?

Pour notre Scène De Manager du jour - votre secrétaire fait des fautes dans ses courriers ? - il est de votre devoir de la faire progresser ; pour cela, vous devez impérativement fixer avec elle des moments d'échange réguliers, et je ne parle pas de ces phrases échangées entre deux portes ou deux rendez-vous !

Par exemple, faites-en-sorte qu'elle soit la première à avoir son entretien annuel ! Frappez un grand coup (sans faire de mal à personne) : en étant exemplaire avec votre collaboratrice, vous lui accordez du respect, vous projetez une image valorisée du dispositif auprès de l'ensemble de l'équipe. Et enfin, last but not least - comme disent ceux qui aiment bien utiliser la fonction italique de leur traitement de texte - vous pourrez réaliser « à froid » un bilan de l'année, un point sur les compétences, et définir avec elle des objectifs opérationnels et un plan de développement !

Oui, attention à l'environnement qui ne comprend pas toujours quand une assistante se voit attribuer de nouvelles responsabilités : il faut préparer le terrain pour que personne ne remette en cause sa crédibilité, les préjugés sur les capacités des assistantes, et plus généralement des femmes, ayant la vie dure.

Regardez la délicieuse Gwyneth Paltrow, assistante particulière du millionnaire Tony Stark dans Iron man 2, qui lorsqu'elle est nommée du jour au lendemain par lui président de son Groupe, se fait vertement ridiculiser dans les médias. (Dans un autre style, Alain Duhamel, notre super-héros à nous, commentant une intervention de Ségolène Royal se situe dans le même registre phallocrate et injurieux !).

Dans le cas qui nous occupe : votre assistante fait des fautes récurrentes dans les courriers ? Dites-le lui simplement et demandez-lui de corriger elle-même son courrier, en s'aidant des outils en ligne si nécessaire, et de s'auto-contrôler systématiquement avant de vous proposer un courrier à signer.

Puis, lors de l'entretien annuel, revenez sur cette lacune, en faisant en sorte de souligner l'impact que peut avoir auprès de la clientèle ce type d'erreurs. Au passage, cela vous permet de valoriser l'importance du travail de votre assistante.

Classique mais respectable attention managériale, ... mais le cinéma peut proposer des options plus créatives !

...Une bonne correction
En effet, dans le film La Secrétaire, la technique utilisée par Mr Grey, le personnage interprété par James Spader, pour gérer sa collaboratrice, est fort différente.

Il est vrai que Lee Holloway n'a accepté ce job sous-qualifié pour elle que parce qu'elle sort d'un séjour en hôpital psychiatrique ; adepte de l'auto-mutilation, la belle dépressive recherche ainsi une activité aussi monotone que possible, afin d'éviter de penser....

Or quand le jeune avocat constate des fautes dans les courriers tapés par son assistante, il va sortir totalement de notre corpus habituel de bonnes pratiques managériales, et va innover avec un geste frappant : il lui donne une fessée !

Une correction, en quelque sorte. Plat de la main sur les fesses. Pan. Pan.

Le problème, c'est que cette méthode s'avèrera contre-productive, puisque la demoiselle va se prendre au jeu et se met à faire de plus en plus de fautes... volontaires.
Hum.
Histoire de recevoir d'autres fessées. Eh oui, une main de fer dans un gant de latex, en quelque sorte.

Ce jeu va se poursuivre, et les liens entre le patron et son assistante vont se resserrer de plus en plus. Rassurez-vous, cette étrange relation évoluera en un doux sentiment, et au final, l'amour triomphera entre ces deux individus hors-normes qui se sont trouvés, tout simplement !

Sous le choc, le plaisir.
Alors évidemment, il faut admettre que la technique de Mr Grey est peu reproductible dans la réalité, sauf à risquer une bonne gifle et un procès pour harcèlement. SDM se doit donc - un peu à regret – d'admettre que pour une fois, le cinéma n'apporte pas une solution applicable.

Pourtant, l'option de La Secrétaire ne manque pas d'un certain charme transgressif... mais nous ne pouvons la recommander, la possibilité de tomber sur Maggie Gyllenhaal étant assez faible, soyons clairs.

Alors au final, managez votre assistante comme elle le mérite, c'est-à-dire... comme n'importe lequel de vos autres collaborateurs ! Car ce n'est pas parce que vous être en contact permanent avec elle que vous devez négliger l'évolution de ses compétences et de son employabilité !

Avec de l'attention, un peu de recul sur le quotidien, vous pourrez ainsi retrouver un vrai lien managérial avec votre assistante (mais ne serrez pas trop, surtout).

A présent, nous espérons que plus personne ne confondra SDM et SM, non mais !


Bibliographie :
Assistantes pro (Harache, Bercovici, Editions d'Organisation, 2008), La Secrétaire (S. Shainberg, USA, 2002).

samedi 10 juillet 2010

Millenium - Mediapart : même combat !

C'est les vacances, mais pour le plaisir, un petit post estival, en cette période d'affaires...

Nous avons :
- Un petit organe de journalisme d'investigation qui lutte pour sa survie...

- A la tête de cette équipe de justiciers journalistes, un reporter-star des médias, célèbre pour ses nombreux scoops qui ont révélé des scandales politiques et financiers...

- Ces journalistes, en partie financés par un richissime chef d'entreprise...

Et puis :
- Un empire industriel et financier dirigé par une famille milliardaire, qui a depuis longtemps franchi les barrières du pays pour devenir une multinationale...

- Certains membres de cette famille ont flirté avec l'extrême droite avant-guerre et joué un rôle trouble pendant l'Occupation...

- Des luttes familiales entre générations pour le pouvoir au sein de ce Groupe multinational...

- A sa tête, un vénérable ancien inoxydable...

- Une île mystérieuse...

Et enfin :
- Une affaire d'état que révèle le super-journaliste...

- Un scandale à tiroirs, qui implique les sphères politiques, économiques et médiatiques...

- Des révélations quotidiennes, tous les médias étant alimentés à la même source d'investigation...

- Un témoin-clé qui se rétracte après publication et qui met dans l'embarras le journaliste-star...

- La révélation de montages financiers complexes offshore...

- Une police et une justice soupçonnés d'être en bonne partie aux ordres du pouvoir...


… Bienvenue dans : Millenium – L'homme qui aimait les vieilles femmes riches !


Bibliographie : Millenium (Arden Oplev, Suède, 2009), Mediapart

vendredi 2 juillet 2010

George Clooney vs les rois de la fermeture-éclair : 1/3 Préparez les mouchoirs !

Fermer une usine, c’est partir, un peu…
... et souvent loin : en Chine, en Inde, à l’Ile Maurice !

Faire sa valise, ce n'est jamais facile - ça l'est encore moins quand on fait partie des licenciés de l'usine !

Bref, fermer une usine, c'est un peu comme fermer une valise.

George Clooney serait bien de cet avis. En tout cas, le personnage qu'il interprète dans le formidable In the Air, de Jason Reitman, sorti début 2010.

Dans cette comédie sociale douce-amère - chroniquée ici par l'excellent Percy Thrillington - George est un consultant en restructurations, qui va de ville en ville pour annoncer à des salariés qu’ils sont licenciés.

En permanence en déplacements, d’avion en avion, une vie entre Hyatt's et Mariott's, George est en quelque sorte expert des deux sujets : les licenciements... et les valises !

A ce titre, nous faisons aujourd'hui appel à lui pour notre Scène De Manager, dans laquelle il sera opposé à deux multinationales du bagage, Delsite et Samsoney.

Loin de vouloir nous mettre à dos l'industrie du sac, nous voulons plutôt célébrer ici le sens de l'innovation dont celle-ci a fait preuve dans la gestion de ses restructurations. Rapidité, élégance, haute technicité, envergure internationale, bref un système de fermeture… éclair!

Notre Scène de Manager
Nous sommes en 2005, dans cette riante contrée du Nord, quelque part entre le Pas-de-Calais et la Picardie. Et justement, nos Airbus et Boeing de la maroquinerie, j’ai nommé l’américain Samsoney et le français Delsite, y ont chacun leur usine française.

Il se trouve que ces deux Groupes concurrents doivent fermer leurs sites industriels en France, (mondialisation, concurrence des pays émergents, rationalisation budgétaire, réchauffement de la planète, – rayez la mention inutile).

Consultant en restructurations, vous récupérez les deux projets simultanément – bien joué : vous voyez bien, que cela servait à quelque chose, ces interminables table-rondes au Ministère de l'Emploi.

A présent, comment allez-vous vous y prendre pour gérer la fermeture de ces deux sites ?

Ben oui, dans le catalogue de ces deux prestigieuses marques, il y a différentes gammes de bagages, selon la qualité et les prix, non ? Eh bien, c'est idem pour les plans sociaux : vous avez plusieurs options : Moderne ou Vintage ? Rigide ou souple ? Cheap ou luxueux ?

La suite ici : 2/3 Ma petite entreprise

George Clooney vs les rois de la fermeture-éclair : 2/3 Ma petite entreprise


Ma petite entreprise
Du côté d'In the air, nous sommes en pleine Crise acetuelle, et ça n'a plus rien à voir les Crises du passé.
Car au XXème siècle, les gammes traditionnelles de restructurations de sites industriels, souvenez-vous, c'était le bon vieux plan social vintage, avec son mix de pré-retraites, de primes d'ancienneté... rhââ, nostalgie...

Mais nous vivons une époque moderne, je vous signale, alors dans In the air, nous sommes dé dans une autre ère de gestion des licenciements, subtil mélange d'externalisation et de reclassement, d'entrepreneuriat, d’essaimage, d'outplacement, de départs volontaires….

En effet, le personnage interprété par Clooney appartient à un cabinet de conseil spécialisé dans la prise en charge de licenciements pour des entreprises. Consultant sur le terrain, il se substitue aux DRH des entreprises, et en tant que professionnel des restructurations, il assure l'ensemble des entretiens de départ, propose un ensemble de solutions d'accompagnement, marketé dans une plaquette 4-couleurs, s'il-vous-plait !

En externalisant votre gestion sociale, vous limitez les risques. Pendant les entretiens individuels, George mêle professionnalisme et empathie, sur le thème : « oui, je sais, vous avez 54 ans, pas de diplôme, occupez la même fonction ici depuis 34 ans, vous avez un crédit sur votre maison et 3 enfants encore à charge, mais, mais... et si ce licenciement était l'occasion de vous lancer enfin dans votre grande passion de toujours, la fabrication de faux puits de jardin en pneus ? »

L'ensemble a un coût – sad but true, diraient nos amis de cette autre multinationale de l'industrie lourde, Metallica - mais ce n'est qu'un mauvais moment à passer. Séquestration par des syndicalistes en colère, envahissement de l'usine ? Tout sera géré par des professionnels, rassurez-vous, le DRH n'aura même pas à apporter sa brosse à dents !

(En option, nous recommandons de vendre au Comité de Direction de l'usine une journée de simulation de communication de crise, avec occupation d'usine et journaleux du Courrier Picard à la grille d'entrée : idéal pour ressouder un CODIR dans la bonne humeur - vous reprendrez bien des viennoiseries !)

Ainsi, dans notre gamme Business et Suavité, pour un PSE qui marchera comme sur des roulettes, telle est donc la solution proposée par George.

L'affaire est dans le sac

In the air est certes moderne, mais ce n'est rien à côté de ce qu'on imaginé nos deux multinationales ! Dans un style plus high-tech, pour fermer leurs sites respectifs, Delsite et Samsoney ont carrément innové !

Elles ont en effet apporté une touche de sophistication à la préparation de leurs charrettes de licenciement, en combinant confort de prise en main et mobilité extrême (en plus, avec une option qui évite d'avoir à se payer George et ses dosettes).

En septembre 2005, Samsoney, propriétaire d'une usine à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), décide de s'en séparer. La holding qui reprend le site annonce son projet de reconvertir l'usine afin de produire des panneaux photovoltaïques – noble ambition, bien in the air du temps.

Qui dit vente d'activité dit transfert des contrats de travail, dans le cadre de l'ex L122-12. Ça y est, les 190 salariés ne dépendent plus du Groupe de départ, mais de l'opaque repreneur.

Las, à peine 18 mois plus tard, l'usine est placée en liquidation judiciaire et ses salariés licenciés avec le minimum d'indemnités. Il faut dire, le projet industriel n'était pas tout à fait abouti - il prévoyait notamment de fabriquer les panneaux solaires avec les mêmes machines que celles qui produisaient les sacs...

En juillet 2009, le Procureur du Tribunal correctionnel de Paris a été jusqu'à traiter de « patrons-voyous » les repreneurs, les condamnant à des amendes et à de la prison ferme pour avoir provoqué la faillite du site – comme si c'était facile, de lancer le marché des panneaux solaires à roulettes taille cabine !

Un appel est en cours. Par ailleurs, le conseil des Prud'hommes de Lens a jugé illicite le licenciement des 190 salariés.

La fin ici : 3/3 Copycat

George Clooney vs les rois de la fermeture-éclair : 3/3 Copycat



Copycat

Preuve que c'était une vraie innovation, que cette méthode était une best practice évidente, c'est que le concurrent numéro 1 de Samsoney, Delsite, a utilisé exactement la même solution, au même moment !

Même volonté de fermer son site, en Picardie, cette fois.
Mêmes repreneurs.
Même liquidation 18 mois après.
... et même nombre de salariés sur le carreau !

Cette fois, c'est la Cour d'appel d'Amiens qui a condamné Delsite à indemniser 160 de ses anciens salariés, estimant que Delsite « a procédé au transfert illégal des contrats de travail à une société qui, dès la session, n'était plus en mesure d'en poursuivre l'exécution. » La multinationale aurait ainsi fait « l'économie d'un licenciement collectif » pour en transférer la charge sur le repreneur dont la liquidation était « inéluctable ».

Il faut dire que Delsite a un peu été pris la main dans le sac, car ce « service rendu » par les repreneurs, précise l'arrêté du 20 avril 2010, a été financé par le bagagiste, via une « subvention » de 2,2 millions d'euros discrètement versée sur des comptes anonymes au Luxembourg.

Ben oui, parce que qui va faire le boulot ? Votre repreneur, il faut bien qu'il s'y retrouve, lui qui doit peu à peu mettre le site en faillite, assurer la liquidation judiciaire de la structure, licencier les salariés avec le minimum d'indemnités... c'est du taf, tout ça, mine de rien !

Delsite a par conséquent été considéré comme seul responsable de la rupture des contrats et à été condamné à verser aux salariés de 12 à 18 mois d'indemnités, plus les AGS versées, soit quelques millions d'euros au total.

L'avocat des salariés des deux sites affirme ainsi que Delsite aurait « externalisé ses licenciements pour échapper à sa responsabilité sociale » et préférer verser plusieurs millions à des interlocuteurs douteux plutôt... qu'à ses salariés dont elle souhaitait se séparer !

Malle à partir
Bref, d'un coté, vous externalisez la gestion sociale, mais votre Groupe paie néanmoins aux salariés des indemnités ; de l'autre, vous externalisez TOUT. Y compris la gestion financière, en passant par des intermédiaires du genre qui ont plus d'un tour dans leur sac !

Et pour une fois, amis SDManiaques, c'est la réalité qui l'emporte sur la fiction !
In the air, qui semblait encore il y a quelques mois à la pointe, est complètement dépassée par l'innovation sociale imaginée conjointement par les Coca et Pepsi du bagage.

Au final, les 400 salariés des deux usines ont en 2005 dû faire leur valise dans les pires conditions, même si la justice leur accorde aujourd'hui quelques compensations.

Parce qu'un plan social mal ficelé, pour les salariés concernés, c'est en réalité exactement comme une valise mal fermée : l’assurance d’avoir mal au bas du dos pendant longtemps...


Bibliographie : In the air (Jason Reitman, USA, 2010), « Delsey a copié son concurrent Samsonite... mais pas ses bagages » (Le Monde, 14 mai 2010), Les ex-Delsey ont gagné en appel : un espoir de plus pour les ex-Samsonite (La Voix du nord, 28 avril 2010)

vendredi 18 juin 2010

SOX in the City ! 1/4 : Harry dans tous ses états !

Ce n'est pas pour me vanter, mais l'autre soir, c'était soirée-débat.

Le lieu : « Au comptoir général », au bord du canal st Martin, en plein boboland. Chouette espace alternatif à base de récup industrielle, avec une touche arty juste vintage, genre.

Le genre de soirée où se pressent des grosses huiles du monde de l'entreprise, du conseil en management – ça s'appelle : Conversations essentielles – remarque, pour des huiles, essentielles, ça se pose là.

Le concept : un zeste de débat et un soupçon d'art. En gros, une table-ronde de spécialistes qui discutent, et dès que ça commence à devenir intéressant, on s'interrompt pour une pause musicale. On revient au débat, et ainsi de suite jusqu'au pot final.

La conversation a commencé autour du thème « Faut-il aimer son travail pour être heureux ? »... le sens au travail, peut-on exercer un emploi contraire à nos valeurs, peut-on faire abstraction de soi pour ne plus être qu'un sujet au travail ?... l'échange ronronnait, je rêvassais... et ça m'a rappelé une autre conversation...

Conversation secrète, de Francis Ford Coppola, Palme d'or 1974.

L'histoire d'un spécialiste en surveillance discrète, Caul (Gene Hackman), qui est engagé par un chef d'entreprise pour espionner son épouse qu'il soupçonne d'infidélité.

Caul parvient à enregistrer les conversations des deux amants, qui craignent la réaction du mari s'ils sont découverts. Cela rappelle à Caul une affaire précédente, où ses écoutes ont causé la mort des personnes qu'il espionnait...

Notre Scène de Manager
Harry Caul doit-il continuer à espionner les amants, et transmettre les bandes enregistrées à son client, sachant que ceux-ci, dans leurs conversations, expriment leurs craintes de la violence du mari s'il apprend leur liaison ?

Le dilemme moral va se faire croissant pour Harry Caul, entre la mission à accomplir et ses convictions personnelles. Que faire dans cette situation ? Doit-il livrer les bandes au mari ? Peut-il continuer à exercer ce métier qui le mine et qui est contraire à son éthique personnelle ?

Face à face donc, pour traiter de cette question d'éthique, le Coppola de Conversation secrète et nos amis des Conversations essentielles : telle est notre scène de manager du jour !

La suite ici : SOX in the city 2/4 : Beau travail !

SOX in the City 2/4 : Beau travail !


Les grosses huiles font monter la pression.
Qu'en diraient nos amis des Conversations essentielles ?

Imaginons... autour de la table, un sociologue érudit, une psy du travail déprimée, un entrepreneur social dynamique et un chercheur sciences-po compliqué dans sa tête.

Commençons avec le jeune entrepreneur social... pour lui, chacun est libre de ses choix !
Si vous ne pouvez supporter le dilemme moral entre ce en quoi vous croyez et ce qu'on vous demande de faire, eh bien c'est aussi votre problème !

Par exemple, Harry devrait peut-être choisir de se reconvertir dans le secteur public : dans sa spécialité, il y a de la demande, et il ne risquerait plus aucun problème d'éthique. En effet, les diverses organisations d'état dédiées à la sécurité (services secrets, police, armée...) sont des modèles de respect de l'individu, et ne pratiquent par exemple jamais d'écoutes illégales, c'est connu.

De son côté, le chercheur sciences-po est encore plus optimiste : on peut donner du sens à un emploi, quel qu'il soit. Prenez Pernod-Ricard, qui a su transformer une activité taylorienne de surveillance des anomalies de bouteilles sur tapis roulant en une mission plus intéressante, en permettant au salarié d'intervenir aussi en cas de problème.

D'un coup, le taux de détection d'anomalies a augmenté de plus de 50%, simplement en élargissant la marge de manœuvre du salarié.

Le chercheur suggère par conséquent à Harry de proposer à son client d'élargir sa prestation au-delà du simple espionnage, en intervenant aussi sur le volet « assassinat » qui peut s'ensuivre – ainsi, il ne restera pas au stade frustrant de l'écoute, mais il ira au bout de la logique de la mission. Eh oui, c'est bien à une quête de sens que nous sommes ici confrontés.

A cette proposition, la psy se met à hurler qu'on est là dans du post-taylorisme de base, avec cette tentation de demander aux salariés de mettre toujours plus d'eux-même dans leur travail, alors qu'on ne leur laisse pas vraiment de liberté !

Bref, s'impliquer, attention, ça peut certes être porteur de sens, mais c'est aussi se mettre en danger, en se mettant la pression soi-même, ce qui peut être la pire des souffrances, et...

… Et maintenant, un peu de musique !

J’ suis l’ poinçonneur des Lilas...
Paraît qu’ y a pas d’ sot métier
Moi j’ fais des trous dans des billets
J’ fais des trous, des p’tits trous, encor des p’tits trous
Des p’tits trous, des p’tits trous, toujours des p’tits trous...
Retour au débat : vous disiez, docteur ?

Oui, le psy estime donc qu'il faut faire attention à la responsabilisation exacerbée de chacun, qui peut être source de stress – néanmoins, elle préconise que chacun puisse poser un minimum son empreinte sur ses activités, et non pas obéir aveuglément à des règles écrites par d'autres. Sinon, il y a nécessairement souffrance, frustration !

Ainsi, dans notre SDM, la prescription du psy pourrait être : qu'Harry consulte rapidement son médecin du travail, qu'il se fasse arrêter quelques mois, et éventuellement, qu'il porte plainte pour harcèlement moral – auprès de qui, ça, on ne sait pas : de son client ? De Coppola ? - mais en tout cas, elle peut aider à monter un dossier.

La suite ici : SOX in the City 3/4 : Sign o' the Time

SOX in the City ! 3/4 : Sign o' the Time !


A vous, ami sociologue !
Enfin, pour le sociologue, nous rejoignons ici une problématique d'actualité : comment agir face à une pratique professionnelle contraire à la déontologie ou même à la loi ? Faut-il se taire ? Agir ?

Les Anglo-saxons ont mis en place en 2002 la fameuse loi Sarbannes-Oxley, « SOX » pour les intimes, suite au scandale Enron et autres Worldcom. Elle impose de nouvelles règles de comptabilité et de transparence financière à toutes les entreprises cotées à la Bourse de New-York, et implique par ailleurs de mettre en place des procédures d'alerte en interne. C'est le concept de « whistleblowing », lanceur d'alerte, qui...

... Et à nouveau, un peu de musique, tralala !

J'ai pas d'mandé à v'nir au monde
J'voudrais seul'ment qu'on m'fiche la paix
J'ai pas envie d'faire comme tout l'monde
Mais faut bien que j'paye mon
loyer...
J'travaille à l'Underground Café
Nous disions donc...

L'exemple d'Enron est devenu un classique : une de ses cadres avait exprimé à sa hiérarchie ses inquiétudes sur les pratiques comptables illégales en vigueur dans l'entreprise, et l'impact que cela pouvait avoir pour la pérennité du Groupe. Son avertissement était resté sans suite, et on sait ce qu'il advint de l'entreprise...

Consolation : Time Magazine en fit une de ses « people of the year » 2002, ce qui en fait au passage - information fascinante - la seule expert-comptable au monde à avoir jamais fait la une de Time.


Autre lanceur d'alerte célébré par Michael Mann dans le film Révélations en 1999 : Jeffrey Wigand, cadre de l'industrie du tabac qui révéla au grand-public que cette industrie connaissait depuis longtemps le caractère addictif et cancérigène des cigarettes. A l'écran, il est incarné par notre ami Russel Crowe, décidément familier de nos SDM.

Bref, chacun a un devoir, et ne doit pas hésiter à exprimer son sentiment, surtout s'il joue un rôle de manager ! Il est donc clair que Harry Caul ne peut pas passer outre ses dilemmes moraux...

En l'occurrence, il est à son compte, donc pas de hiérarchie à alerter, mais il pourrait tout simplement inclure dans son contrat de service une clause d'éthique, dans laquelle ses clients s'engageraient à ne pas assassiner sauvagement avec une hache les personnes faisant l'objet de la surveillance, quelque chose comme cela.

Ces conversations essentielles se terminent ici, et maintenant... qu'a finalement fait Harry dans le film Conversation secrète ? A-t-il cédé ou s'est-il rebellé ?

La fin ici : SOX in the City 4/4 : The trouble with Harry !

SOX in the City 4/4 : The trouble with Harry !

1/4 : Harry dans tous ses états !
2/4 : Beau travail !
3/4 : Sign o' the Time


Mais qui va tuer Harry ?

Malheureusement, dans Conversation secrète, Harry ne dispose pas des conseils judicieux de nos professionnels-de-la-profession... alors il s'enfonce dans la souffrance, pris entre ses valeurs morales et la pression de son client, qui va empiéter de plus en plus sur sa propre vie privée !

Souvenez-vous, il finira même par se séparer de sa compagne à qui il ne parvient pas à se confier, et finalement, il livrera bien les bandes à l'inquiétant mari. Harry essaie bien de confesser ses pêchés auprès d'un prêtre, mais cela ne le soulage en rien.

La suite prouvera que ses craintes étaient fondées. Il y aura bien un meurtre, une sombre machination, et Caul comprendra au final qu'il est lui-même désormais espionné. Peu à peu, il sombrera dans la paranoïa...

Gene Hackman interprète magnifiquement cet homme en train de sombrer, victime de ses démons, incapable d'exprimer ses tourments ni même de solliciter Technologia pour compléter leur si remarquable questionnaire sur le mal-être au travail.

Alors, aujourd'hui, notre Scène de Manager voit le triomphe de la réalité sur la fiction, et chacune des options proposées par nos converseurs essentiels aurait permis à Harry de mieux s'en tirer que dans le film - vous ne pensez pas ?

Allez, puisque c'est bientôt les vacances, une petite anecdote pour la route...

Nous sommes dans une multinationale consciente de sa responsabilité sociale, et engagée dans une démarche éthique, dans le cadre de la fameuse SOX.
Un des engagements pris est de faire signer à tous les salariés, dans le monde entier, une charte éthique – or, dans le planning du déploiement, une petite filiale européenne résiste et refuse de signer la fameuse charte !

Les Executives de la Corp' relancent une fois, deux fois les managers du site – sans résultat. Une fois de plus, c'est le management intermédiaire qui pose problème : l'éthique n'est manifestement pas leur priorité. Après enquête interne, leur motif pour ne pas déployer la charte ? Le fait que le Groupe a acquis il y a peu cette petite entreprise et vient d'annoncer, c'est vrai, la fermeture du site sous un an.

Un an.. le temps de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi décent pour les 200 salariés... le temps aussi de transférer l'activité et le savoir-faire sur un continent plus favorable au niveau salaires.

Et ce sont donc les managers de ce site qui refusent de faire signer, et même de signer eux-mêmes la charte éthique – comment sont les gens !

Au final, on voit bien que c'est à la base, sur le terrain, que le beau concept d'entreprise éthique doit encore progresser, malgré la volonté évidente de nos bien aimés dirigeants... de ne pas porter le chapeau !

Bibliographie :
http://www.conversationsessentielles.org/, Conversation secrète (Coppola, USA, 1974), la bio du whistle-blower d'Enron, wiki sur SOX , Révélations (Mann, USA, 2002), Le poinçonneur des lilas (Gainsbourg), La serveuse automate (Starmania – Plamondon/Berger), The Avengers.