lundi 11 octobre 2010

Les héros sont fatigants ! 1/3

Sympa, ce Clark Kent - mais il ne vous agace pas, vous ?

Son côté grand échalas timide et empoté, boy-scout toujours prêt à rendre service ? Idem pour Peter Parker, bon p’tit gars mais qui se fait toujours marcher sur les pieds ?

Trop gentils, trop gentils, ces super-héros dans leur identité secrète… Pourtant, Superman et Spiderman, à la ville, ne pensent qu’aux autres, sans rien demander en échange. Résultat ? Eh bien professionnellement, leur carrière ne décolle pas, et sentimentalement, aussi bien avec Loïs Lane qu’avec Mary-Jane, ça ne vole pas haut !

Etrange ! Serviables, désintéressés, ils devraient crouler sous les amis, non ? Mais c'est du cinéma, me direz-vous... dans la réalité, dans le monde de l’entreprise, en particulier, et-ce vraiment différent ? Les « gentils » y sont-ils vraiment plus appréciés par leurs collègues ? Joli thème de SDM, tiens !

Notre Scène De Manager.
Face à un individu qui apporte beaucoup aux autres, sans jamais rien demander pour lui, comment réagissent les membres du groupe auquel il appartient ?

Autrement dit, comment sont considérés les êtres désintéressés au sein de leur communauté ?

Une fois de plus, nous confronterons deux visions : celle du monde merveilleux du cinéma et celle de la froide épreuve de la réalité !

Bad boys
Pas facile d’être un gentil au cinéma, c’est sûr ! Regardez comment le serviable Darcy, alias Colin Firth dans son pull tricoté maison, se fait snober dans Bridget Jones par Renee Zellwegger, qui lui préfère longtemps ce play-boy immature et égoïste de Hugh Grant !
Je vous vois venir : voyons, les filles préfèrent les « bad boys » !

Et Joaquim Phoenix, dans le (surestimé) Two lovers, réalisé par (le par ailleurs admirable) James Gray, ne préfère-t-il pas une torturée et blonde Gwyneth Paltrow à la gentille et brune Vinessa Shaw ?
Les hommes préfèrent les blondes, sans doute ?

Ok, ok, alors sortons des relations amoureuses et élargissons le propos : quid d’une communauté toute entière qui désapprouve et va conduire un de ses membres jusqu'au pire, sous prétexte qu’il se voue totalement à un autre, en se sacrifiant au passage ?

Vous l'avez reconnu : c'est dans le pénible Breaking the waves que Lars von Trier imagine cette héroïne qui, dans un acte d’amour et de dévotion totale, va tout faire pour aider son mari devenu paralytique, y compris aller jusqu’à se prostituer pour lui !

A un degré moins hystérique, en tant que spectateurs, de films, ne réagissons-nous pas un peu comme ces villageois ? Par exemple, quels sont nos personnages préférés dans des films comme Pirates des Caraïbes ou La Guerre des étoiles ?

Dans les deux sagas, d’un côté, des héros désintéressés, prêts à se sacrifier pour un père/une princesse à macarons sur la tête/la Galaxie, etc. ; de l’autre côté, des renégats, lâches, vénaux, égoïstes !

Et à l’applaudimètre du public, ce sont bien Han Solo et Jack Sparrow qui atomisent Luke Skywalker et Will Turner ! Certes, le charisme des acteurs joue, et il est sûr qu’Orlando Bloom et Mark Hamill... face à Johnny Depp et Harrison Ford…et puis les rôles de buddy-partner rebelle sont un peu plus rock’n’roll que ceux du jeune premier de service, forcément falot.

Non, non, la vraie, l’ultime illustration du rapport entre un gentil et sa communauté est à trouver du côté de la saga Harry Potter. Car au fond, tout ce que désire le binoclard d’Hogwarts, c’est être aimé et sauver le monde, pas davantage. Et le monde, il le sauve régulièrement, grosso modo à chacun des sept épisodes, finalement.

Or, pour une bonne partie de ses camarades d'école, mais aussi pour le gouvernement des sorciers, les médias et l’opinion publique toute entière, Harry est loin d'être mon sorcier bien-aimé ! Il est au mieux considéré comme un charlatan avide de publicité, et au pire comme un dangereux ennemi du peuple ! Trop gentil, le bougre, personne ne veux comprendre qu’il fait tout cela pour les autres !

On voit donc bien que le cinéma ne fait pas la part belle aux êtres désintéressés et qui aident leur prochain – et je vous épargne Jésus dans la Dernière tentation du Christ, qui finira – attention !!! spoiler pour ceux qui n’ont pas le film – littéralement crucifié par ses concitoyens.

Mais de son côté, la réalité n’est pas forcément plus tendre que le cinéma avec les gentils, et la science a même récemment tenté de percer le mystère de la haine qu'ils suscitent parfois.

La suite ici !

Les héros sont fatigants ! 2/3

Why do we… crucify ourselves ?

Ce sentiment troublant de rejet du dévouement a en effet été étudié par des chercheurs du département de psychologie de l’Université de l’état de Washington.

L’expérience était la suivante : demander à des étudiants de participer à un groupe de 5 personnes, en ne voyant jamais les autres membres de l’équipe.

Chacun recevait une dotation qu’il pouvait, lorsque c’est son tour, choisir de garder ou de verser au pot commun, en partie ou en totalité. En fin d’année, une récompense symbolique était prévue : quelques noms tirés au hasard recevraient des bons de cantine, à la hauteur du niveau final de leur solde individuel.

En réalité, chaque « autre membre du groupe » était actionné par un programme informatique : trois avaient un comportement équilibré entre don et réception, et le quatrième se comportait différemment, en prenant ou en donnant systématiquement.

Après quelques tours, on demanda à chaque étudiant d’indiquer, au vu du comportement des différents membres du groupe, lequel d’entre eux il souhaitait conserver dans l’équipe.

Le résultat ? Il est surprenant : les participants dont le comportement est totalement désintéressé se retrouvent au final jugés aussi mal que ceux qui ne font que profiter du bien commun.

Pourquoi ? Trois raisons émergaient :

1- Certains estimaient qu’un participant aussi loyal doit être, d’une certaine façon, mauvais, donc il doit être sorti du groupe. Le boulet, quoi.

2- D’autres considéraient que les « gentils » ne respectent tout simplement pas les règles ! La norme prévoit qu’on agit en fonction de ce que qu’on reçoit, et que quand il n’y a pas de récompense, on ne fait pas. Ils reprochent donc ici un comportement déviant.

3- Enfin, pour certains, ce comportement altruiste doit tout simplement cacher quelque chose de pas net, une stratégie cachée.

D’un point de vue managérial, quelle conclusion en tirer ? Encourager ses collaborateurs à adopter une attitude de mercenaire, sous prétexte qu’au moins, elle est parfaitement lisible et prévisible ?

La fin ici !

Les héros sont fatigants ! 3/3

So what ?

Finalement, faut-il se comporter comme un rat, et cesser d’aider les autres ? Cinéma et réalité semblent indeed se rejoindre dans un même constat amer : le désintéressement ne rend pas populaire parmi ses congénères.

Vous allez me dire, fidèles des SDM : voyons, c'est peut-être le cas dans les universités américaines, voire dans certaines écoles de sorciers, mais dans les entreprises, il en est tout autrement!

Car tout le monde sait que c'est la performance collective qui fait le succès des organisations, par la coopération de ses acteurs, dans une vision managériale partagée. Partage des connaissances, transferts de savoir-faire, travail en équipe : autant de fondamentaux de toutes les entreprises modernes, m'enfin !

Oui-je-sais-Oui-je-sais-Oui-je-sais-Oui-mais-bon, alors que l’Entreprise promeut, dans son système de valeurs, les vertus du travail en équipe, force est de constater qu'elle va en réalité de plus en plus vers l’individualisation. Individualisation de l’évaluation de la performance, du système de rémunération associé, et plus largement du rapport salarié-employeur...

Les indicateurs de gestion étant devenus progressivement les seuls critères d'évaluation de la performance de l'entreprise, ils sont aussi désormais utilisés pour évaluer la performance des individus. Et ce management individuel par objectifs induit qu'on n'est plus sensés travailler pour un collectif, ou pour la beauté du geste, ni même pour produire un bien ou un service de qualité en soi, mais uniquement pour atteindre... l'objectif de performance fixé.

Bref, au-delà des bonnes intentions de principe, le modèle entrepreneurial évolue bien souvent de plus en plus vers une logique purement individualiste, et n'est donc pas favorable à l'épanouissement des salariés au comportement altruiste.

Par conséquent, pas facile non plus d'être un gentil en entreprise ! Mais attention, que cela ne vous empêche surtout pas de rester vous-même, et donner sans rien attendre, si vous le souhaitez, pour les autres, pour vous, pour le plaisir ! Donner pour donner, tout donner, c’est la seule façon d’aimer, disait ce duo de philosophes des années 70, remember, France Gall et Elton John.

Finalement aujourd’hui, ni vainqueur ni vaincu dans cette SDM, cinéma et réalité ne proposent pas de solution miracle pour que les gentils soient appréciés à leur juste valeur – sauf à considérer qu’on peut imiter nos amis Superman/Clark Kent et Spiderman/Peter Parker, pour devenir populaires enfin !

Mais bon, l’équipe de SDM ne saurait raisonnablement vous recommander d’enfiler un slip rouge par-dessus vos vêtements ou un pyjama rayé moulant, surtout avec la nécessité de sauver le monde tous les deux jours dans cette tenue !

Bibliographie : Your most helpful colleague (don’t you hate him ?) (Craig Parks).
Superman returns (Bryan Singer, USA, 2006), Spiderman I, II et III, (Sam Raimi, USA, 2002-2004-2007), Crucify (Tori Amos, 1992), Donner pour donner (Michel Berger/Bernie Taupin, 1980), Bridget Jones (Sharon Maguire, USA, 1980), Star Wars (George Lucas, USA, 1976), Pirate des Caraïbes (Gore Verbinski, USA, 2002) , Two lovers (James Gray, USA, 2009), Harry Potter (Chris Columbus, GB, 2001).